La guerre de l’eau

Face à la sécheresse en France, la guerre de l’eau a commencé

 11h00 , le 2 août 2020

Face aux sécheresses à répétition en France, les projets de retenues d’eau se multiplient… ainsi que les conflits.

A Saint-Pierre-de-Caubel, dans le Lot-et-Garonne, le lac de Caussade est issu d'une retenue d'eau illégale.
A Saint-Pierre-de-Caubel, dans le Lot-et-Garonne, le lac de Caussade est issu d’une retenue d’eau illégale. (AFP)

La vague de chaleur a beau refluer, quelques orages éclater, les plantes ont soif. « Ce mois de juillet sera le plus sec depuis 1959 », estime-t‑on à Météo-France. Les nappes phréatiques, rechargées cet hiver, sont certes dans une meilleure situation que l’été dernier, mais la sécheresse gagne du terrain. Soixante-huit départements avaient déjà pris vendredi des mesures de restriction d’eau. Une situation qui va s’aggraver au fil des ans. Selon les experts, le dérèglement climatique devrait en effet entraîner une augmentation de la fréquence, de la durée et de l’intensité des épisodes de sécheresse d’ici à 2050. Cela se traduira par une diminution des débits des rivières de 10 à 40% à l’horizon 2046-2065. « La gestion de l’eau focalisera les conflits dans notre pays d’ici à la fin du siècle », prédit la députée ex LREM, aujourd’hui EDS, ­Frédérique Tuffnell, rapporteure d’une récente mission parlementaire sur le sujet.

Car l’or bleu suscite des convoitises. Pour l’heure, l’industrie en utilise 6%, le secteur de l’énergie 22%, l’eau potable représente 24% de la consommation et l’agriculture 48% (mais 79% en période estivale!). Le problème, c’est qu’à l’exception des usages définis comme prioritaires dans le Code de l’environnement – santé, salubrité, sécurité civile, eau potable et respect des équilibres naturels – le reste n’est pas hiérarchisé.

Les contentieux se sont multipliés

Déjà des tensions éclatent. Certains ont du mal à comprendre pourquoi ils n’ont pas le droit d’arroser leur jardin ou de remplir leur piscine quand les agriculteurs continuent parfois à irriguer le maïs. Ces derniers se défendent. « Pour nourrir la population, il nous faut de l’eau, rappelle Éric Frétillère, le président d’Irrigants de France. La majorité des fruits, légumes et céréales poussent l’été, en période sèche. » Les exploitants plaident pour la création de retenues afin de stocker l’eau en hiver, quand elle est abondante, pour en avoir l’été. Le nouveau ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, a promis, vendredi sur Europe 1, de simplifier les procédures pour en construire.

Les retenues d’eau sont des solutions simplistes, qui privatisent aggravent la sécheresse des milieux naturels en aval

Pas sûr que cela suffise. « Ce sont des solutions simplistes, coûteuses, destructrices de la biodiversité, qui privatisent l’eau et aggravent la sécheresse des milieux naturels en aval », dénonce ­Arnaud ­Schwartz, le président de l’association France nature environnement (FNE), qui n’hésite pas à attaquer en justice. Ces dernières années, les contentieux se sont multipliés : 21 sur les 34 projets de retenues dans le bassin Loire-Bretagne, 41 sur 60 en Adour-Garonne.

La bataille de l’eau a déjà commencé. Dans les Deux-Sèvres, un projet visant à créer 19 retenues a été revu à la baisse. Dans les Vosges, une plainte a été déposée contre Nestlé Waters, la multinationale qui exploite l’eau de ­Vittel. Dans le Lot-et-Garonne, deux dirigeants de la chambre d’agriculture viennent d’être condamnés à de la prison ferme pour la construction illégale d’une retenue, le lac de Caussade. Sans oublier le barrage de Sivens, dans le Tarn. En 2014, ­Rémi ­Fraisse, un jeune opposant au projet, a perdu la vie lors des affrontements avec les forces de l’ordre.

Les agriculteurs changent leurs pratiques

Pointés du doigt, les agriculteurs cherchent pourtant à s’adapter. « Nous utilisons 30% d’eau en moins qu’il y a vingt ans », assure Luc Servant, le vice-président de l’assemblée permanente des chambres d’agriculture. Goutte‑à-goutte, vannes électroniques pour contrôler le débit, sondes mesurant la tension hydrique du sol, algorithme pour modéliser la réserve d’eau utile… Les nouvelles technologies permettent de réduire le gaspillage. Et le prochain rapport d’orientation de la FNSEA, le syndicat majoritaire, intitulé « Faire du défi climatique une opportunité pour l’agriculture », invitera aussi, en plus de la création de retenues d’eau, à adopter de nouvelles pratiques.

Nous devons passer à un modèle beaucoup plus résilient

Face aux sécheresses répétées, certains appellent à aller plus loin. « Les agriculteurs doivent changer de paradigme », exhorte la FNE. « Nous devons passer à un modèle beaucoup plus résilient, trouver des solutions fondées sur la nature », renchérit la députée ­Frédérique ­Tuffnell. Comment? En utilisant des variétés moins gourmandes en eau comme le sorgho ; en semant plus tôt pour que les plantes se développent avant la saison sèche.

La piste de l’agroécologie

Cela passe aussi par l’agroécologie. Replanter des haies pour retenir l’eau. Des arbres pour avoir de l’ombre. Couvrir toute l’année le sol de végétaux pour retenir l’humidité. Éviter le labour et les pesticides pour maintenir la vie souterraine, la matière organique, qui favorise elle aussi la rétention d’eau. Et préserver les zones humides. Afin d’inciter les agriculteurs à s’engager dans cette voie, le rapport parlementaire publié en juin propose de créer un fonds de 1 milliard d’euros pour financer les « paiements pour services environnementaux » (déjà expérimentés) sur la période 2021-2025.

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Pour désamorcer les conflits, il faut aussi privilégier le dialogue, par exemple en favorisant des projets de territoire pour la gestion de l’eau. Dans les Deux-Sèvres, de nouvelles discussions sur les retenues d’eau ont abouti à un « protocole d’accord pour une agriculture durable ». Le préfet vient de signer l’autorisation de construction. De quoi faire taire les querelles? À voir.

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