La lumière en hydrogène

Un cristal convertit la lumière en hydrogène avec un rendement record

MATÉRIAUX

Des travaux japonais permettent un pas de plus vers un système de production d’énergie propre et vertueux, qui vise à fabriquer de l’hydrogène simplement à partir d’eau et de lumière

Le scénario laisse songeur. Capter la lumière du soleil et l’utiliser pour casser les molécules d’eau (H2O) via la réaction dite d’électrolyse, et obtenir ainsi du dihydrogène (H2) stocké dans des bouteilles pressurisées. Voilà comment il serait possible de produire de l’énergie propre, renouvelable et transportable, sans ressource fossile ni gaz à effet de serre. Juste avec du soleil et de l’eau fraîche! Qui dit mieux?

Ce procédé, appelé power-to-gas, qui consiste plus largement à convertir des excédents d’énergies renouvelables en gaz durablement stockable, est déjà à l’œuvre dans quelques rares démonstrateurs dans le monde. L’un d’entre eux notamment, à Arzberg, en Allemagne, fabrique de l’hydrogène par électrolyse de l’eau en tirant l’énergie nécessaire de panneaux solaires voisins.

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Une autre approche, plus expérimentale mais aussi plus simple, se passe complètement de panneaux solaires. La lumière est dans ce cas collectée par des matériaux semi-conducteurs appelés photocatalyseurs, qui se présentent sous forme de petits cristaux immergés dans de l’eau. Leurs électrons, une fois excités par les photons lumineux, migrent vers la surface du cristal et enclenchent l’électrolyse de l’eau, produisant ainsi le dihydrogène convoité. Avec cependant un piètre rendement, pour l’instant incompatible avec des applications commerciales.

Des électrons et des trous

Une équipe de chimistes japonais vient cependant de publier une importante avancée en la matière. Elle dit être parvenue à mettre au point un photocatalyseur presque parfait, capable de convertir en H2 la quasi-totalité de la lumière qu’il reçoit. Les résultats sont parus le 27 mai dans la revue Nature.

«C’est un élégant travail d’ingénierie et de chimie du solide»Hubert Girault, Laboratoire d’électrochimie physique et analytique

Pour comprendre pourquoi l’efficacité des photocatalyseurs est habituellement insuffisante, il faut revenir sur leur fonctionnement. Lorsqu’un photon lumineux arrive dessus, un électron est arraché au cristal, laissant derrière lui un «trou», autrement dit un déficit électronique. Electrons et trous ont naturellement tendance à se recombiner, dissipant l’énergie acquise. Dans un photocatalyseur (tout comme dans une cellule solaire photovoltaïque), l’enjeu est d’empêcher ce rendez-vous et de forcer électrons et trous à se déplacer dans deux directions opposées. On génère ainsi une tension électrique entre deux extrémités du matériau, comme dans une pile. C’est cette énergie qui est alors utilisée pour l’électrolyse de l’eau.

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En bref, on demande beaucoup aux photocatalyseurs. Ils doivent convenablement absorber la lumière, empêcher la recombinaison des électrons et des trous, favoriser leur propagation en direction opposée et, enfin, enclencher l’électrolyse. Une longue chaîne d’événements dont chaque étape est potentiellement perturbée par des phénomènes nuisibles, ce qui fait s’effondrer leur efficacité.

Fabulite

Le matériau présenté dans Nature par l’équipe de Kazunari Domen, de l’Université de Tokyo, n’est pas vraiment nouveau: il s’agit du titanate de strontium, un cristal historiquement utilisé comme substitut du diamant sous le nom de fabulite. Ses propriétés photo-catalytiques ont été découvertes en 1977, rappelle Nature dans un article connexe, et ont depuis été étudiées sous toutes les coutures. L’idée des chercheurs a été d’améliorer chaque étape de fonctionnement de ce photocatalyseur afin d’augmenter son efficacité.

Le titanate de strontium utilisé était sous forme monocristalline (constituée d’un unique cristal) afin de réduire les imperfections dans sa structure, qui sont sources de recombinaison entre trous et électrons. Les chercheurs ont également «dopé» leur matériau à l’aluminium, une pratique consistant à finement insérer des atomes de ce métal dans le réseau cristallin, ce qui limite également les recombinaisons.

Une des prouesses de l’étude a consisté à déposer des matériaux «cocatalyseurs» sur les facettes du cristal. Sur la face accueillant les électrons, du rhodium a été injecté pour favoriser la réaction de réduction des ions hydrogène de l’eau en molécules de dihydrogène. Pour limiter la réduction simultanée de l’oxygène, une réaction ici indésirable, le rhodium était encapsulé dans une coque de chrome, ce qui bloquait physiquement les atomes d’oxygène. Toutes ces petites améliorations prises dans leur ensemble, le cristal de titanate de strontium a atteint une efficacité expérimentale de 96%. Un chiffre considérable: les meilleurs essais étaient jusqu’ici parvenus à 50 à 60%.

Preuve de concept

«C’est un élégant travail d’ingénierie et de chimie du solide, commente Hubert Girault, du Laboratoire d’électrochimie physique et analytique à Sion. Toute la beauté de ces travaux repose sur le dépôt des catalyseurs sur des faces opposées d’un cristal pas plus gros qu’un grain de sable.» Le professeur rappelle cependant que l’efficacité de 96% est à considérer avec prudence, car «un tel système reste loin de pouvoir produire de l’hydrogène en conditions industrielles».

La lumière utilisée dans l’expérience provenait de rayons ultraviolets (UV) d’une longueur d’onde comprise entre 350 et 360 nanomètres. Il s’agissait donc non pas d’une lumière solaire naturelle, mais d’une mince portion de son spectre lumineux. La plupart des UV sont en effet filtrés dans l’atmosphère et ne représentent qu’environ 4% du spectre solaire. Les auteurs l’admettent sans détour et estiment que l’efficacité de leur matériau illuminé par le soleil serait de l’ordre de… 0,65%. Des synthèses récentes en la matière évaluent à 10% l’efficacité nécessaire pour espérer une viabilité économique de centrales de power-to-gas. Pour cette raison, l’article de Kazunari Domen représente avant tout une intéressante preuve de concept, plus qu’une application prête à l’emploi.

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La route vers l’hydrogène produit par photocatalyse risque donc d’être encore longue. Les développements futurs viseront certainement à élargir le spectre d’absorption de la lumière. «Les choses peuvent aller plus vite qu’on ne le pense, glisse Hubert Girault. D’ici à une dizaine d’années, on assistera peut-être à la mise au point de photocatalyseurs suffisamment performants pour entrer en compétition avec les panneaux solaires photovoltaïques couplés à l’électrolyse.»

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