VIDEO. Quand la justice française condamne au nom d’une loi qui n’existe pas (en France)
Dans les Deux-Sèvres, une décision de justice a été rendue sur le fondement d’un texte de loi suisse. « Normalement, je vérifie », concède le magistrat fautif.
L’Oeil du 20 heuresFrance Télévisions
Juger au nom d’une loi étrangère : c’est le tour de force réussi par le tribunal d’instance de Niort (Deux-Sèvres). En décembre dernier, il condamne un agriculteur à 5 300 € de réparations. Son tort ? Depuis des années, les roues de son tracteur, pleines de boue, salissent la route qui longe sa ferme. “C’était très dangereux pour le transport scolaire qui passe là, compte tenu de l’étroitesse de la route », explique Jean-François Ferron, maire de Champdeniers-Saint-Denis (Deux-Sèvres).
Après plusieurs avertissements, en vain, la municipalité attaque l’agriculteur en justice. Mais surprise : à la lecture du jugement, que nous nous sommes procurés, le tribunal écrit, pour justifier la condamnation, que l’agriculteur “viole indiscutablement l’obligation prévue par l’article 591 de l’ordonnance sur la circulation.” Et va même jusqu’à citer l’article en entier.
Une loi introuvable dans le droit français
Nous avons cherché dans la loi française cette ordonnance sur la circulation et son article 591 : introuvables. Nous nous sommes donc tournés vers Rémy Josseaume, avocat spécialiste du droit routier. « Ce n’est pas une disposition qui aujourd’hui régi la circulation en France, cette référence-là est totalement erronée et fantaisiste”, assène-t-il. « C’est un jugement d’un pays étranger peut-être ? Ce n’est pas en France, ce n’est pas possible. »
Nous avons donc repris nos recherches. Et effectivement, en fouillant bien : l’article et son ordonnance apparaissent dans un texte de loi mais… en Suisse, et seulement jusqu’en 2015 ! D’ailleurs l’article en question n’est pas le 591 mais le 59-1, le même que celui repris dans le jugement français.
L’agriculteur condamné, qui a souhaité rester anonyme, n’en revient pas. « C’est des imbéciles, s’emporte-t-il. Il y a un truc de fou là-dedans qu’on n’a pas compris. Il faut se méfier de tout, la preuve ! »
« Normalement, je vérifie », reconnaît le juge
Alors pourquoi le tribunal d’instance de Niort a-t-il rendu un tel jugement ? Où a-t-il trouvé cet article de loi ? Nous avons appelé le magistrat. « Je ne sais plus où je l’ai trouvé, mais je ne l’ai pas inventé !, nous répond d’abord ce juge au téléphone. Je l’ai trouvé certainement dans le Code de la route, sinon vous le trouvez sur Internet, poursuit-il. Normalement je vérifie. Si ma décision n’est pas bonne, la cour d’appel la cassera », conclut-il, avant de raccrocher précipitamment.
Pourtant, le fait de salir une route et de ne pas nettoyer est bien interdit par la loi française, selon l’article R-116-2 du code de la voirie routière. Nul n’est censé ignorer la loi : mais c’est encore plus vrai pour la justice, non ?
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Publiée par Moteur Eau sur Lundi 3 décembre 2018